Jean-Claude Marcadé

Slava Mogutin – Poète, critique, photographe-mise en scène du corps

Presentation at the International Colloqium Provocation and Extravagance in Modern Russian Literature and Culture, October 2005

 

 

1 La carnavalisation de la vie

La vie publique de Jaroslav Mogutin à partir de 1990 (il a 16 ans) est ponctuée de scandales à répétition et de poursuites judiciaires (pour attentat à la moralité publique, voyouterie préméditée, propagande de la pornographie, description des perversions pathologiques, complaisance pour la cruauté barbare, utilisation d’un lexique obscène…). Auteur d’essais, d’articles polémiques,[1] de reportages et d’interviews[2] dans des journaux de grande diffusion ou spécialisés, il revendique haut et fort son homosexualité, sujet particulièrement sensible dans la société russe où il a toujours été tabou et occulté. D’où des réactions violentes de “l’opinion publique”, certaines appelant à la mort.

Les interventions de Mogutin dans la presse sont accompagnées de gestes provocateurs dont le plus éclatant a été sa tentative, très médiatisée, de faire enregistrer au “Zags” de Moscou son mariage avec son ami d’alors (12 août 1994). Ayant quitté la Russie à cause de ses démêlés avec la justice, Jaroslav Mogutin s’installe à New York où il vit aujourd’hui. Il continue à se mettre lui-même en scène en exhibant son corps, qu’il couvre petit à petit de tatouages et soumet au piercing, dans les revues spécialisées, sur la couverture de ses livres,[3] voire dans des films pornographiques.[4] D’une certaine manière héritier des futuristes russes du début du XXème siècle, il procède à l’exaltation narcissique et insolente de son personnage, se pare des noms de “SuperMogutin”, “SuperSlava”. Il affuble son vocabulaire du suffixe nietzschéen5 ‘Sverx-’ (‘Sur-’, comme dans ‘Surhomme’) ou ‘Super-’ (comme dans “Superman’).[6]

Et aujourd’hui, il aime signer “SM”, on ne sait si c’est parce que cela indique son goût pour les jeux érotiques masochistes et, de façon générale, pour le fétichisme, ou bien s’il y a une référence inconsciente à S.M. Ėjzenštejn, Seine Majestät, Sa Majesté. Mogutin est un admirateur inconditionnel des dessins violemment érotiques et obscènes du cinéaste russe.[7]

Parfois, il transforme le “S” en “$”, clin d’oeil, sans doute, au mercantilisme artistique provocatoire hautement revendiqué par Salvador Dali.

Le sigle “SM” est souvent inscrit sur ou au-dessus d’une tête de mort, celle des pirates, des sans-loi, des anarchistes, qui rejettent règles et rites sociaux. De ce point de vue, Mogutin se retrouve du côté du voyou et assassin Villon, du débauché et ivrogne Verlaine, ou du cynique Rimbaud, en quête du dérèglement de tous les sens.

Voici la ‘Небольшое заявление в суде’ (‘Petite déclaration au tribunal’) de Slava Mogutin qui s’adresse à sa juge moscovite:

Неуважаемая судья!
история и культура всегда делалась такими отчаявшимися отчаянными одиночками как я
я в хорошей компании в компании избранных
/обойдусь без метания бисера: имена моих авторитетов для вас пустой звук/
я не раскаиваюсь ни на секунду
я сосуд пороков переполненный преступными помыслами и социално опасными фантазиями
все что не по правилам и против закона возбуждает и вдохновляет меня
все что нелегально запретно запрятано и запрещено
адреналин вскипает в моей крови
мурашки бегут по всему телу
обнаженное сердце топорщится в гордой груди
я живу ради таких моментов
я был рожден чтобы их испытать (Supermogutin 2000: 182)

(Juge non respectable,
l’histoire et la culture s’est toujours faite par des seuls et uniques désespérés fieffés comme moi
je suis en bonne compagnie dans la compagnie des élus
/je me passerai de jeter des perles: les noms de mes autorités sont pour vous une sonorité creuse/
je ne me repens pas une seconde
je suis un vase de vices débordant de pensers criminels et d’imaginations socialement dangereuses
tout ce qui est contre les règles et contre la loi m’excite et m’inspire
tout ce qui est légalement défendu caché et interdit
l’adrénaline se met en ébullition dans mon sang
les fourmis parcourent tout mon corps
mon coeur mis à nu gonfle dans ma poitrine fière
je vis pour de tels moments
j’ai été mis au monde pour les éprouver)

Ici, Slava Mogutin est frère en humanité avec Jean Genet qui s’est “construit un personnage” en se revendiquant “homosexuel, voleur, traître et lâche”.8 Il y a beaucoup d’autres affinités avec l’univers de Genet, jusqu’à une fascination sexuelle pour l’ennemi nazi et fasciste que l’on rencontre dans la grande nouvelle de Mogutin Роман с немцем (Mon histoire d’amour avec un Allemand), où il y a une jouissance pour le Russe, non seulement d’être un traître, mais aussi d’être dominé par l’ennemi de sa patrie, une patrie qui le honnit et le vomit parce qu’il n’est pas “conforme” (Mogutin 2000: 25-29);10 on peut mettre en parallèle les propos si décriés de Genet (‘La fin dernière d’une révolte’):

Le fait que l’armée française, ce qu’il y avait de plus prestigieux au monde […] ait capitulé devant les troupes d’un caporal autrichien, eh bien, ça m’a ravi. J’étais vengé […] On est obligé de dire que la France a été humiliée et je ne pouvais qu’adorer celui qui avait mis en oeuvre l’humiliation de la France. (Genet 1981: 26)

La référence à l’auteur du Journal d’un voleur est claire dans la nouvelle de Mogutin Как я воровал в Париже (Comment j’ai été voleur à Paris) où voler est une sorte de sport adolescent pour avoir des objets fétiches que l’on ne peut se procurer, mais qui est aussi, comme chez Genet, acte de nécessité (voler “pour manger”; c’est Limonov qui donne le conseil à Mogutin “de ne voler que lorsqu’il n’avait plus rien à bouffer”). (Mogutin 2000: 175)

Pour revenir à la tête de mort qui lui sert de signature, on note dans la poésie comme dans la prose de Mogutin des années 1990 la présence récurrente de la mort et le memento mori y est en filigrane. Ce filigrane est aussi celui du sida, qui menace à tout moment celui qui s’adonne à la quête effrénée du sexe. C’est également le désenchantement de la vie où se mêlent, de façon dérisoire, car inutiles et sans perspective, les diverses manifestations de la comédie humaine, de sa comédie humaine, à lui-Slava Mogutin qui se nourrit de fétichisme.

Le poème ‘Купание красного коня’ (‘Le bain du cheval rouge’)[9] (1999), qui énumère les banalités de la vie quotidienne, se termine par:

всё ради чего можно не задумываясь умереть
но нет никакого смысла жить (Mogutin 2001a: 133)

(tout ce pourquoi on peut ne pas penser à mourir
mais il n’y a aucun sens à vivre)

Et la poésie ‘Конец века’ (‘Fin de siècle’) (2003) est marquée par le même état d’esprit: après avoir passé en revue les activités du passé, le poète termine par ce couplet:

Все это в памяти осталось
Воспоминанием-дурманом
Осадком горьким и оскалом
Позорным глупым карнавалом

Иных уж нет а те что живы
Шакалят в поисках наживы (Mogutin 2004: 108)

(Tout cela est resté dans la mémoire
Comme un souvenir-opium
Résidu amer et rictus
Honteux carnaval niais

Certains ne sont déjà plus et les vivants
Chacalent en quête de gain)

Hanté par la mort, le hors-la-loi vante la jeunesse et célèbre ceux qui ont quitté la vie sans avoir connu la déchéance et la laideur de la vieillesse. C’est un thème constant de la vision homosexuelle, de façon générale. Je ne mentionnerai ici, parmi les grands écrivains que Wilde et son Portrait de Dorian Gray ou, dans les arts, Pierre et Gilles qui représentent leurs personnages dans une éternelle jeunesse.[10] Commentant une déclaration d’Andy Warhol à propos du suicide de Marylin Monroe, Slava Mogutin déclare:

Уорхол, конечно, имел в видум что Мэрилин ‘удачно’ умерла, ‘умерла вовремя’, оствшись вечно молодой, сексуальной и соблазнительной и избежав судьбы десятков других звезд, чьи долгая жизнь и некрасивая старость перчеркнули успех их молодости (как это произошло, например, с Элизабет Тейлор, превратившейся в последнее время из объeкта всеобщей любви в объект всеобщих насмешек), Смерть Монро была ее самой правдоподобной и запоминающейся, самой удачной и звездной ролью. (Mogutin 1999: 42-43)

(Warhol avait évidemment en vue le fait que Marylin était morte de façon réussie, qu’elle était morte à temps, restant éternellement jeune, sexuelle et séduisante, et ayant échappé à la destinée de dizaines d’autre étoiles dont la longue vie et la vieillesse laide ont biffé le succès de leur jeunesse (cela s’est produit, par exemple, avec Liz Taylor, qui est passée ces derniers temps d’un objet d’amour général en objet de railleries générales). La mort de Monroe fut son rôle de star le plus réussi, le plus proche du vrai et celui qui reste le plus gravé dans la mémoire.)

Slava Mogutin se veut le centre du monde, dans la mesure où il vise à concentrer en sa personne le monde entier, être “ФОНТАН ЖИЗНИ НЕИСЧЕРПАЕМЫЙ ИСТОЧНИК ВЕЧНОГО НАСЛАЖДЕНИЯ” [‘UNE FONTAINE DE VIE UNE SOURCE INEPUISABLE D’ETERNELLE JOUISSANCE’],[11] il veut que tout son corps ne soit qu’ “muscle thermoatomique” comme il le développe dans son poème éponyme, où, dans une vision délirante, il se voit à la fois comme sujet et comme objet:

да вот именно так я хочу провести свою беспробудную жизнь:
- становясь во всем или первым или последним
- бесцеремонно расширяя границы возможного и дозволенного
- бесстрашно открывая новые горизонты очевидного и невероятного
- заходя на такую территорию куда убогая человечеческая природа еще никогда не ступала
- загибаясь в тоске о сверхчеловеческом
- изо дня в день наращивая мускульную массу и военный потенциал
- накручивая гонку вооружений
- усердно репетируя последний всесокрушающий удар по недоразвитой человеческой расе
- неудержимо превращаясь в один ТЕРМОЯДЕРНЫЙ МУСКУЛ (SuperMogutin 2000: 198)

(Voilà c’est justement comme ça que je veux passer ma vie invétérée:
- devenant en tout ou le premier ou le dernier
- élargissant sans cérémonie les frontières du possible et de l’impossible
- ouvrant intrépidement de nouveaux horizons d’évidence et d’invraisemblable
- entrant dans un territoire que n’a encore jamais foulé l’indigente nature humaine
- croulant dans la nostalgie du surhumain
- de jour en jour accroissant ma masse musculaire et mon potentiel de guerre
- enroulant la course aux armements
- répétant avec ferveur le dernier coup pandestructeur porté à la race humaine avortonne
- me transformant irrésistiblement en un MUSCLE THERMOATOMIQUE)

Le poète se veut à la fois César, Sade, Rimbaud, Nietzsche et …la bombe atomique!

 

2 Le théâtre verbal

Jaroslav Mogutin est à la fois prosateur et poète. Dans ses nouvelles (Mes amours allemandes [Роман с немцем], Bouillie sanguinolente [Кровавое месиво], Comment j’ai été voleur à Paris [Как я воровал в Париже]), dans ses reportages qui se situent dans la tradition des очерки russes (30 Interviews [30 Интервью], L’Amérique dans mon froc [Америка в моих штанах – clin d’oeil au poème maïakovskien Le nuage en froc [Облако в штанах]), dans ses recueils poétiques (SuperTextes SurHumains. Superlivre sur le sexe la violence et la mort [Сверхчеловеческие Супертексты. Суперкнига о сексе насилии и смерти] (2000) ou bien Le muscle thermoatomique [Термоядерный мускул] pour lequel il a obtenu le ‘Prix Andrej Belyj’ en 2001), – le héros, c’est lui, il est constamment le personnage central des faits racontés, des séances érotiques, des visions. Mogutin est à la fois auteur, spectateur, acteur, metteur en scène. Son oeuvre mêle avec habileté la réalité (le plus souvent – “hard”), l’onirisme et le paroxysme imaginaire. Son ancêtre dans l’exploration textuelle de l’absence de limite et de la polymorphie du désir de l’homme est sans aucun doute Sade. C’est la même plongée dans les abîmes de l’âme humaine.

Beaucoup de poèmes de Mogutin sont des visions haletantes où se mêlent tous les phantasmes de l’auteur, ses expériences et rêves d’enfant, les faits saillants de l’histoire russe qui lui est contemporaine ou lointaine qu’il fait passer au crible de son humour ou de son ironie sarcastique. Visiblement, ces scènes irréelles, paroxystiques, sont nées d’une imagination sous l’emprise de la drogue ou comme un souvenir des “trips” qui ont été faits à cette occasion.

Le poème ‘День космонавтики: Кетаминовая дыра’ (‘Le jour de la cosmonautique: Le trou cétaminique’) (Mogutin 2001a: 22-25) est un exemple de cette poétique mogutinienne très spécifique, poétique proche de l’écriture automatique des surréalistes et que l’on pourrait appeler dans son cas “surassociative” puisqu’elle développe une succession de faits, d’être, de choses qui naissent les uns des autres de la manière la plus insolite, voire extravagante, comme dans L’Immaculée Conception d’Eluard-Breton, à la seule différence qu’ici Mogutine est seul avec lui-même. Dans ‘Le jour de la cosmonautique’ est mis en scène Jurij Gagarin, que “l’on a fourré dans un scaphandre il y a quarante ans” et qui est maltraité à la manière russo-soviétique (on songe à la façon dont est traité le Gaucher de Leskov à son retour d’Angleterre); et, tout d’un coup, est associée la vision de Nicolson dans son vol au-dessus d’un nid de coucou, de Malcolm Mac Dowell dans “une orange mécanique aux cils boutonnés”, et puis, sans qu’on s’y attende, on passe à Tereskova, Titov, Pigalle, Montmartre, aux athlètes américains; suit tout un couplet sur la naissance du poète, sur ses faits et méfaits d’adolescent, sur Korolev; et l’on passe sans transition aux problèmes sexuels en apesanteur; on revient à nouveau à Gagarin, à ses capacités amoureuses, à son alcoolisme tel qu’il est vu par la professeure de chimie; et cela se termine sur un fait-divers, le suicide collectif de 33 Américains qui “espéraient en une meilleure vie sur Mars”…

Tout cela se déroule sans aucun signe de ponctuation, avec seulement certaines phrases imprimées en capitale, comme l’humoristique citation du père de l’écrivain:

ДОЧЬ У МЕНЯ КРАСАВИЦА НО ДУРА ЗАТО СЫН УМНЫЙ НО УРОД

(MA FILLE EST UNE BEAUTÉ MAIS UNE IMBÉCILE EN REVANCHE MON FILS EST INTELLIGENT MAIS UN MONSTRE)

Ce rythme haletant qui scande une histoire est un trait distinctif de la poésie de Mogutin où se mêle réalité et fiévreuse imagination. C’est aussi un rythme d’acte sexuel s’accomplissant en orgasme.

Les répétitions et les allitérations sont également un procédé privilégié par le poète. Dans la poésie ‘Esenin’:

[Душа как будто поросла […]
Херней какою-то вонючей]

Высокой степени томленья
Высокой степени стремленья
Высокой степени боренья
И низкопробныя лобзанья (Mogutin 2001a: 128)

La traduction ne rend pas toutes les nuances musicales verbales, en voici une, plate, mot à mot:

([L’âme s’est comme recouverte […]
De je ne sais quelles conneries puantes]

De langueurs de haut degré
D’aspirations de haut degré
De luttes de haut degré
Et de baisers de mauvais aloi]

Voici encore un exemple de cette prosodie anaphorique dans la poésie ‘Крутой маршрут’ (‘Un itinéraire raide’) où est, en outre, utilisé le vocabulaire du slavon de la liturgie orthodoxe:

ИЗЫДЕ ДУХИ НОЧИ
ИЗЫДЕ МЕЧЕСОСЦЫ
ИЗЫДЕ ДЕТИ ВОЛЧЬИ
И СТАНЬТЕ МОИМИ НЕМЕЦКИМИ ОВЧАРКАМИ (Mogutin 2004: 86)

(SORTEZ ESPRITS DE LA NUIT
SORTEZ LES SUCEGLAIVE
SORTEZ ENFANTS DE LOUPS
ET DEVENEZ MES BERGERS ALLEMANDS)

Dans ‘IN GOLD WE LUST (Бен Франклин и другие)’ (Mogutin 2001a: 77), l’auteur utilise l’anaphore как любовь ‘comme l’amour’ dans un joyeux ludisme. Il varie ses formes prosodiques, fait alterner de petites nouvelles rhytmées, des chansons populaires, des litanies, des allitérations, des calembours, par exemple dans ‘И Джерри превратился в Джеремайю’: “Парша и порча / порше и парча”. (Mogutin 2001a: 134)

Le lexique de Mogutin est très riche, non seulement il utilise la langue argotique, mais aussi le mat, cette langue des termes obscènes et orduriers que tout le monde connaît et souvent pratique, sans l’écrire, mais aussi des termes rares tirés des différents dialectes professionnels ou techniques. La virtuosité, l’ingéniosité des collisions verbales et des néologismes, sont dans la tradition des cubofuturistes russes du début du XXe siècle. Un exemple est le beau poème ‘Итальянские каникулы-2’ (‘Vacances italiennes-2’) qui est fondé uniquement sur le découpage des mots et des décalages (le sdvig des poètes transmentaux) pour les rendre à une pure musicalité:

Сици ли я
Сици ли ты
Шумядт рудчья
Кридчадт сквордцы

Лежал лежал
Средть пустоты
Сквозь тишины
И немоты […] (Mogutin 2001a: 207)

La prose de Slava Mogutin est, par rapport à sa poésie, plus “classique”, même si elle ne se prive pas d’utiliser les “gros mots” (la langue de la rue). Америка в моих штанах (L’Amérique dans mon froc) de 1999 est une suite de petites scènes saisies avec beaucoup de vivacité et tirées de l’expérience d’un jeune Russe aux Etats-Unis, ses rencontres avec ses compa-triotes, les moeurs de la rue ou de la faune new-yorkaise, le métro, le business, le métro, les cafards, l’industrie du porno etc. Il n’est pas tendre avec la presse, avec la mentalité américaine. D’un côté, il constate: “??? ????: все продается, все покупается” [‘Le style américain: tout se vend, tout s’achète’]. (Mogutin 1999: 39)

D’ autre part, il cite Warhol qui aurait dit qu’il n’aurait pas arrêté Marilyn Monroe dans sa tentative de suicide. Et Mogutin de commenter une phrase de Warhol – “По-моему, каждый имеет право делать все, что он хочет сделать” [‘Selon moi, chacun a le droit de faire tout ce qu’il a envie de faire’] (Ibidem: 42) – de la façon suivante:

В одной этой фразе – весь смысл знаменитого американского индивидуализма. Твоя жизнь – это твой личный бизнес. И твоя смерть – тоже. Независимо от возраста, пола, вероисповедания, цвета кожи, социального статуса и материального положения. (Ibidem)

(Dans cette seule phrase il y a tout le sens du célèbre individualisme américain. Ta vie – c’est ton business personnel. Et ta mort – aussi. Indépendamment de l’âge, du sexe, de la confession religieuse, de la couleur de la peau, du statut social et de la situation matérielle…)

Le livre consacré aux interviews de 30 personnalité les plus diverses, allant des écrivains comme Allen Ginsberg ou Sinjavskij, d’un slaviste renommé comme Simon Karlinskij (cf. verder – zelfde man ?), d’un metteur en scène d’aujourd’hui comme Roman Viktjuk, jusqu’à la pop-star du showbusiness russe contemporain Boris Mojseev, le “poète de la transsexualité” Pëtr Krasnoperov, le chanteur bisexuel Vova Veseckin, voire son avocat, le célèbre Genrich Pavlovič Pavda, qui défendit, entre autres, Ol’ga Ivinskaja (la “Lara” du Docteur Živago) et l’oligarque Chodorkovskij. Ce livre est véritablement un kaléidoscope très vivant des différentes facettes du monde, tel que l’interroge et l’interpelle Mogutin; bien entendu, une grande place est faite à l’homosexualité masculine étudiée du point de vue physiologique, sociopolitique, philosophique ou éthique. Cependant, les interlocuteurs de Mogutin ne sont pas tous homosexuels et l’auteur donne toute son attention à la Russie, à ses écrivains, à sa culture, à sa vie dans le cadre du régime soviétique, à la situation d’émigré aujourd’hui.

Il s’agit pour chaque personnage interviewé de petits croquis qui nous plongent, chaque fois de façon différente dans des microcosmes ayant leurs propres valeurs, lois, rites. L’auteur présente pour le public russe les personnages interrogés, ce qui fait de cet ouvrage une mine de renseignements sur une tranche de la vie intellectuelle des années 1990. Il ne se prive pas de donner son avis, souvent de façon sarcastique, comme ce résumé de sa visite à Allen Ginsberg:

За три часа, проведенных с Алленом, я имел возможность увидеть, кажется, все его маски и лица: Гинсберга-классика, Гинсберга-профессора, Гинсбергa-пророка, моралиста и идеолога, кликуши и юродивого, домашнего Гинсберга, истеричного, обиженного, возмущенного, занудного, увлеченного, оголтелого, похотливого Гинсберга, Гинсберга-пидора, педофила, садо-мазохиста, эксгибициониста, еврея и буддиста и еще множества других гинсбергов, теснившихся в этом тщедушном старческом тельце, перебивавших друг друга и так и не давших мне возможности задать те вопросы, которые я хотел задать. Я чувствовал себя не то студентом-двоечником на экзамене у придирчивого педагога, не то подростком, которому посчастливилось встретить Живого Кумира, не то Красной Шапочкой, пришедшей повидать свою бабушку, а вместо нее заставшей Волкя, не то кроликом в пасти этого удава, не то удавом в пасти этого кролика. Я уходил от Гинсбергa подавленный и осененный. Наверное, это было самое запоминающееся мое интервью – нелепое, странное, трудное и впечатляющее одновременно. Никто из тех, кого я интервьюировал, не манипулировал мной и не подавлял меня так круто. Вот это глыба, вот это человечище – думал я. (Mogutin 2001b: 38-39)

(Pendant les trois heures passées avec Allen, j’ai eu la possibilité de voir, à ce qui me semble, tous ses masques et visages: Ginsberg-le classique, Ginsberg-le professeur, Ginsberg-le prophète, le moraliste, l’idéologue, la folle et l’idiot de village, le Ginsberg domestique, hystérique, vexé, indigné, rasoir, emballé, déchaîné, le Ginzberg vicieux, Ginsberg-le pédé, le pédophile, le sadomasochiste, l’exhibitionniste, le juif et le bouddhiste et encore une quantité d’autres ginsbergs, qui étaient coincés dans ce vieux petit corps malingre, qui se heurtaient les uns aux autres, de sorte qu’ils ne me donnaient pas la possibilité de poser les questions que je voulais poser. Je me sentais comme un étudiant-cancre examiné par un pédagogue chicanneur, à la fois un adolescent qui a eu la chance de rencontrer son Idole Vivante, ou bien le Petit Chaperon Rouge venu voir sa grand-mère et se retrouvant avec le Loup, ou bien encore un lapin dans la gueule d’un boa constricteur, voire un boa constricteur dans la gueule de ce lapin. Je sortis de chez Ginsberg abattu et béni. Ce fut sans doute mon interview la plus mémorable – absurde, étrange, difficile et impressionnante en même temps. Personne de ceux que j’ai interviewés, ne m’a manipulé et écrasé aussi raidement. Ça c’est un bloc, ça c’est un mec! ai-je pensé.)

Voici encore un exemple de l’alacrité de la plume de Slava Mogutin, c’est son “portrait” de notre collègue russo-américain, le grand spécialiste de la littérature russe Semen Arkad’ievič Karlinskij:

В свои шестьдесят девять лет он замечательно жизнерадостен, работоспособен и разговорчив. Его манера общения моментально захватывает собеседника, он легко переходит с русского на английский и с английского на русский, произнося сто тысяч слов в минуту. Знатоки англоязычного литературоведения говорят, что его стиль безупречен, его ирония способна испепелять, его юмор вызывает приступы гомерического хохота, его выводы и открытия нередко подвергают читателей в шок и замешательство. Его бывшие студенты и нынешние друзья утверждают, что профессор Карлинский никому не давал спуску, строгий, дотошный, но доброжелательный ко всем. (Mogutin 2001b: 139)

(Pour ses soixante-neuf ans, il est remarquablement énergique, pétillant de vie, travailleur et bavard. Sa manière de communiquer s’empare en un instant de l’interlocuteur, il passe avec aisance du russe à l’anglais et de l’anglais au russe, prononçant cent mille mots à la minute. Les connaisseurs de la science littéraire anglophone disent que son style est impeccable, son ironie capable de réduire en poussière, son humour provoque des accès de rire homérique, il n’est pas rare que ses déductions et ses découvertes soumettent ses lecteurs à un choc et les mettent dans l’embarras. Ses anciens étudiants et ses amis actuels affirment que le professeur Karlinskij était exigeant, sévère, mais juste, vétilleux, mais bienveillant à l’égard de tous.)

 

3 La mise en forme visuelle

Mogutin utilise tous les procédés artistiques de notre temps pour mettre en forme ses livres et, surtout, pour utiliser la photographie comme moyen d’expression artistique. Chaque livre (dont le dernier en date, le recueil poétique Декларация независимости [Déclaration d’indépendance], 2004) est soigneusement “fabriqué” (là encore héritage de la tradition russe du livre futuriste et constructiviste du XXème siècle) avec recours à des typographies variées, à des photographies, des publicités, à tous les procédés offerts par les polices et les logiciels des ordinateurs. Mogutin semble aujourd’hui s’accomplir dans la photographie où il peut le mieux faire apparaître sa théâtralisation de l’érotisme homosexuel masculin. A la différence de ses textes qui vont de l’obscène à la pornographie, les photographies de Mogutin sont le plus souvent la fixation d’un théâtre érotique cent pour cent masculin: il n’y a pas chez lui d’ambiguité androgyne, pas de travestissements de l’homme en femme comme, par exemple, chez Marcel Duchamp ou Pierre Molinier). Il s’agit toujours chez Mogutin de jeux d’hommes, entre hommes, jeux rudes et rugueux, avec prédilection pour des scénographies qui vont chercher leur inspiration dans les milieux carcéraux, militaires, “popmusicaux”, l’underground cuir et sado-masochiste. L’oeuvre photographique de Mogutin est exempte de toute vulgarité. L’artiste, de façon générale, ne recherche pas d’effet pornographique brutal, mais met ses personnages et les objets dans des situations érotiques qui suggèrent plus qu’elles n’exhibent. Ce n’est pas un hasard si Mogutin est admirateur des dessins de Pierre Klossowski. Le goût prononcé pour le fétichisme produit des images quelques fois poétiques, quelques fois bizarres, quelques fois extravagantes, à cause des objets les plus hétéroclites et les plus insolites dont le metteur en scène Mogutin affuble ses “acteurs”, à cause aussi du caractère totalement insolite de ce “théâtre du travestissement”, très proche par l’esprit du théâtre de Jean Genet.

Comme dans son oeuvre poétique, la veine surréaliste est présente dans son oeuvre photographique. Dans son dernier recueil de 2004, en face de la poésie ‘Отдал руку под локоть во имя искусства’ (‘J’ai consacré mon bras jusqu’au coude au nom de l’art’) (Mogutin 2004: 52-53), où il fait un bilan de sa vie (il a trente ans!), il a placé la reproduction de la couverture de la revue surréaliste Acéphale du 21 janvier 1937, numéro qui avait comme thème “Nietzsche et les fascistes” et comme auteurs Bataille, Klossowski, Masson, Rollin, Wahl; la couverture, une oeuvre d’André Masson, représente un homme les bras en croix, nu, sans tête, avec, à la place du sexe, une tête de mort, tenant d’une main une bombe, de l’autre un poignard. C’est cet “acéphale” que Mogutin s’est fait tatouer sur sa cuisse droite, comme on peut le voir dans son très beau Autoportrait de 2005. C’est là son dernier tatouage car, à plusieurs reprises, il a procédé à des tatouages sur diverses parties de son corps. Artiste russe, Mogutin pouvait se référer au “peinturlurage du visage” de Larionov et Il’ja Zdanevič en 1913, c’est-à-dire au corps pris comme surface picturale; mais ce qui prévaut chez Mogutin, c’est, sans aucun doute, le caractère rituel qui le rattache à un groupe, le groupe de ceux qui vivent aux marges de la société ou font partie des “minorités”. Le tatouage est alors un signe de reconnaissance. Et là encore, il y a une convergence avec Genet, en particulier le Genet du Miracle de la rose où est instauré “un nouvel Ordre, celui des Tatouages, ils sont, inscrits à même la peau, les armoiries des Durs et pour le poète un anoblissement à l’inverse de notre monde.” (Magnan 1966: 131)

Le choix de l’acéphale tatoué sur le corps n’est pas innocent. Il est polysémique. Une de ses significations trouve un écho sur la couverture du dernier recueil poétique Déclaration d’indépendance, où est représenté sur le fond d’une nappe russe brodée d’oiseaux stylisés un jeune Palestinien tirant sur une fronde en direction d’un oiseau brodé qui tombe. Encore un coup d’oeil vers Jean Genet dont on sait la sympathie pour les Palestiniens. Mais aussi le “contexte russe” nous réfère à l’archer scythe de L’archer à un oeil et demi de Benedikt Livšic, bien connu de Mogutin. Le poète explique la couverture de Декларация независимости (Déclaration d’indépendance) de la façon suivante:

По-прежнему считаю себя эстетическим террористом и диверсантом. Это мои визуальные комментарии по поводу Нового Мирового Порядка, навязываемого всему миру Америкой, глобализации и ‘антитеррористическому’ режиму уничтожения других культур.[12]

(Comme par le passé, je me considère comme un terroriste et un saboteur esthétique. Ce sont mes commentaires visuels à propos du Nouvel Ordre Mondial, que l’Amérique impose au monde entier, de la globalisation et du régime ‘antiterroriste’ de destruction des autres cultures.)

Le travail photographique de Mogutin est le résultat de nombreuses poses, de nombreux clichés, c’est en vrai “plasticien” que l’écrivain russe s’adonne à cet art. Le caractère pictural est évident, en particulier dans l’organisation, la composition, des objets dans l’espace. A ce propos, on est frappé par la façon dont sont composées les cimaises dans sa dernière exposition de photographie “Wiggers” [= Blancsnègres], qu’il a organisée en septembre-novembre 2005 avec son ami, le peintre et dessinateur américain Brian Kenny, à la Deschler Galerie de Berlin. Cela converge de façon étonnante (il n’y a pas eu influence) avec la façon dont Pougny a fait de chaque mur de la galerie “Der Sturm”, dans cette même ville de Berlin en 1921, de véritables tableaux qu’il a peints en variations décoratives en couleurs, sur lesquelles étaient disposés peintures et dessins.[13] Bien entendu, on pense au substrat plastique qui est, pour un artiste russe, celui des murs entièrement peints des églises orthodoxes ou des iconostases.

Mogutin n’a guère d’ancêtre dans la littérature russe. On l’a appelé “fils illégitime de Limonov”. Mais la prose de Limonov est tourguénévienne. De même, on a parlé de Charitonov, là aussi pour des raisons thématiques. Charitonov fut, certes, un pionnier, mais reste dans sa langue relativement modéré , alors que Mogutin recrée une langue contemporaine drue et sans autocensure. Le style magoutinien n’a pas d’équivalent dans la littérature russe du XXème siècle, même la plus libérée des tabous sexuels (comme celle du grand auteur que semble devenir Pelevin). Le seul ancêtre que l’on pourrait donner à Mogutin, c’est Barkov. Comme chez l’hétérosexuel Barkov,[14] chez l’homosexuel Mogutin, il y a jubilation, jouissance (toutes rabelaisiennes d’ailleurs) à saturer le discours d’expressions sexuelles ordurières et obscènes, celles que le peuple, depuis toujours, utilise avec succulence et que la littérature – sous l’influence castratrice de la France du XVIIème siècle- a refoulées dans les bas-fonds.

Sans souci de vouloir récupérer l’irrécupérable Mogutin, je voudrais terminer sur un filigrane qui apparaît à travers l’ensemble de sa production artistique – à savoir une certaine nostalgie de l’amour et de la pureté, que par ailleurs il n’a cessé de refouler au profit du sexe débridé et de l’enivrement dans toutes les excrétions corporelles spermatiques et scatologiques. En témoigne la fin du poème ‘Конечно можно писать’ (‘Bien entendu on peut écrire’), où sont énumérés de façon satirique les “sujets” que l’écrivain peut traiter, et après les sujets les plus hétéroclites, les plus farfelus ou les plus inutiles, l’auteur conclut:

конечно можно писать
о прекрасном и вечном
здоровом и чистом
сердечном
лучистом

конечно и об этом тоже можно писать
почему бы и нет (Mogutin 2004: 107)

sur le beau et l’el
éternle sain et le pur
le cordial
le rayonnant

bien entendu et sur cela aussi on peut écrire
pourquoi non

 


Footnotes

[1] Voir, par exemple, la spirituelle polémique avec le peintre Michail Šemjakin: Mogutin 1993; la réponse de l’artiste: Šemjakin 1994; et la conclusion du poète: Mogutin 1994.
[2] Voir (Mogutin 2001); interviews d’Allen Ginsberg, Joe Dallesandro, Simon Karlinskij, Mar’ja Rozanova, Andrej Sinjavskij, Ėduard Limonov, Genrikh Pavda, Roman Viktjuk, et de beaucoup d’autres.
[3] Voir, par exemple, le recueil poétique Упражнения для языка-Книга стехов-Стехи о любви и ненависти (Exercices pour la langue. Livre de Vères. Vères sur l’amour et la haine) – Mogutin 1997.
[4] Skin Gang de Bruce La Bruce (Berlin, Cazzo Film, 1999). Slava Mogutin figure sur la couverture de la vidéocassette et au dos devant un graffiti “Fuck off and die”.
[5] J’ai insisté sur l’aspect nietzschéen du défi à la société de Slava Mogutin dans mon essai: ‘Die prachtvolle Animalität: оргийное исступление поэзии Ярослава Могутина’ (Mogutin 2001a: 5-13)
[6] Voir son recueil poétique, sans doute le plus violent et scandaleux: SuperMogutin 2000.
[7] Voir: Eisenstein 1999; Von Eisenstein bis Tarkovsky 1990; Literaturnoe obozrenie 1991.
[8] Cf. Jean Genet, ‘Entretiens’: “J’ai choisi des voies qui me mettaient personnellement en danger. Le fait de me dire publiquement homosexuel, voleur, traître et lâche me plaçait dans une situation qui n’était pas précisément confortable puisqu’elle me mettait dans l’impossibilité d’écrire des livres facilement assimilables par la société.” (Genet 1981: 18)
[9] C’est le titre du célèbre tableau de Petrov-Vodkin Купание красного коня (1911, Musée National Russe, Saint-Pétersbourg), qui est une oeuvre fétiche pour les homosexuels russes.
[10] Voir Marcadé & Cameron 1997.
MOGUTIN – POÈTE, CRITIQUE, PHOTOGRAPHE, MISE EN SCÈNE DU CORPS
[11] “Термоядерный мускул /я хочу/” (“Le muscle thermoatomique/j’ai envie/”) (Supermogutin 2000: 197)
[12] Lettre de Jaroslav Mogutin à Jean-Claude Marcadé du 4 novembre 2005:
[13] Voir les 4 reproductions de l’exposition mémorable de Pougny à “Der Sturm” en 1921, dans Berninger & Cartier 1972: 128-129.

[14] Voir Barkov 2004.

Ouvrages cités 

Barkov, I. S. 2004. Polnoe sobranie sočinenij (pod red. V. Sažina). Sankt-Peterburg.
Berninger, H. & Cartier, J.-A. 1972. Jean Pougny (Iwan Puni)-Catalogue de l’oeuvre-Russie-Berlin 1910-1923. Tübingen.
Eisenstein, S. M. 1999. Dessins secrets. Paris.
Genet, J. 1981. Magazine Littéraire-Jean Genet par lui-même, n° 174, juin 1981.
Jean Genet. 1966. Jean Genet. Paris.
Literaturnoe obozrenie. 1991. Literaturnoe obozrenie, n° 11.
Magnan, J.-M. 1966. ‘Pour un blason de Jean Genet’. In: Jean Genet 1966, pages?
Marcadé, J.-C. 2001. ‘Die prachtvolle Animalität: orgijnoe isstuplenie poėzii Jaroslava ogutina.’ In: Mogutin 2001a, 5-13.
Marcadé, B. & Cameron, D. 1997. Pierre et Gilles. The Complete Works-L’oeuvre complet-Sämtliche Werke. Cologne.
Mogutin, Ja. 1993. ‘Šmjak, Šemjakin.’ Nezavisimaja gazeta, 02.11.1993, 7.
Mogutin, Ja. 1994. ‘Ša, Šemjakin.’ Novyj vzgljad, n° 12, 1994, 1.
Mogutin, Ja. 1997. Upražnenija dlja jazyka-Kniga stechov-Stechi o ljubvi i nenavisti. New York.
Mogutin, Ja. 1999. Amerika v moich štanach. Tver’.
Mogutin, Ja. 2000. Roman s nemcem. Tver’.
Mogutin, Ja. 2001a. Termojadernyj muskul. Moskva.
Mogutin, Ja. 2001b. 30 Interv’ju, Sankt-Peterburg.
Mogutin, Ja. 2004. Deklaracija nezavisimosti. Tver’.
Šemjakin, M. 1994. ‘Pravda i krivda o Šemjakine’. Nezavisimaja gazeta, 12.01.1994, 5.
Von Eisenstein bis Tarkovsky. 1990. Von Eisenstein bis Tarkovsky-Die Malerei der Filmregisseure in der UdSSR. Munich.
SuperMogutin 2000. Sverchčelovečeskie Superteksty. Superkniga o sekse nasilii i smerti. New York.

 © Jean-Claude Marcadé, 2005